«РОССИЙСКАЯ АКАДЕМИЯ НАУК ИНСТИТУТ ФИЛОСОФИИ RUSSIAN ACADEMY OF SCIENCES INSTITUTE OF PHILOSOPHY L’INSTITUT DE PHILOSOPHIE DE L’ACADEMIE DES SCIENCES DE RUSSIE ...»
Philosophie grecque et religion musulmane Le ta’wl ou exgse philosophique de la Rvlation La pense ismalienne est entirement construite sur la conviction que le sens apparent et littral (hir) de la Rvlation cache un sens intrieur (bin), qui doit tre dgag par une exgse9. Pour les Ismaliens, le Coran n’est pas la pa role ternelle, immuable et incre de Dieu — comme l’affirme la thologie sun nite de mouvance a‘arite — mais au contraire une “composition” (ta’lf) due au Prophte, qui bien sr agit sous inspiration divine10. Soutenu par cette inspiration (ta’yd), l’intellect du Prophte est en mesure de saisir la “science profonde” (al ikma al-blia) qui concerne les ralits spirituelles soustraites la perception des sens. Mais, sous la contrainte de la langue qui ne permet pas d’exprimer di rectement ce qui chappe aux sens et la perception, Muammad a t oblig, lors de la rdaction du Coran, de recourir des “symboles sensibles” (amila massa)11. En outre, il a d tenir compte des capacits intellectuelles du peuple auquel il adressa le message divin. Or, selon l’Ismalien persan Ab Ya‘qb al Siistn (m. vers 971), le milieu dans lequel l’islam apparut, celui des tribus arabes du dsert, ne se distinguait pas par un niveau intellectuel particulirement lev, en comparaison du moins avec les peuples voisins, Grecs et Persans.
Dots d’une intelligence vive et d’une finesse d’esprit peu commune, qui se tra duisent par le dveloppement de “sciences subtiles”, ces peuples hautement civi liss ne peuvent tre sduits par les symboles parfois grossiers du Coran. Ds lors, ces symboles ncessitent une exgse qui “reconduit” (awwala) le sens ap parent, littral et obvie (hir) de la Rvlation, son sens cach (bin) et rel12.
Cette dmarche de “reconversion” est appele ta’wl. Le message divin ayant t habill et masqu, lors de sa descente (tanzl) dans le monde, sous une enveloppe extrieure et matrielle, le ta’wl aura pour tche de dgager le bin de ce sub strat et de le reconduire sa signification originelle13.
La distinction entre hir et bin, pierre d’angle du shi‘isme, joue galement un rle prpondrant dans le soufisme et la falsafa. Voir: De Smet D. Au-del de l’apparent: les notions de hir et bin dans l’sotrisme musulman // Orientalia Lovaniensia Periodica 25 (1994).
P. 197–220;
idem. hir et bin // Servier J. (d.). Dictionnaire critique de l’sotrisme. Paris:
1998. P. 1387–1392.
Habib Feki. Les ides religieuses et philosophiques de l’ismalisme fatimide (Facult des Lettres et Sciences Humaines de Tunis. 6e Srie: Philosophie-Littrature 13). Tunis: 1978.
P. 278.
amd al-Dn al-Kirmn. Kitb al-Mab f ibt al-imma. d. Muaf lib. Bey routh: 1996. P. 51, 55;
Walker P.E. (ed. and transl.). Master of the Age: An Islamic Treatise on the Necessity of the Imamate (Ismaili Texts and Translations Series 9). Londres–New York:
2007. P. 63, 66 (trad.), 28–29, 31–32 (d.).
Ab Ya‘qb al-Siistn. Kitb al-Iftir. d. Ismail Poonawala. Beyrouth: 2000. P. 154;
cf.: idem. Kitb Ibt al-Nub’t. d. ‘rif Tmir. Beyrouth: 1982. P. 3–4;
al-Kirmn.
Mab. P. 56;
Walker. Master of the Age. P. 66–67 (trad.), 32 (d.).
Walker P. Early Philosophical Shiism: The Ismaili Neoplatonism of Ab Ya‘qb al-Sijistn. Cambridge: 1993. P. 128;
Poonawala I. Ta’wl // Encyclopdie de l’Islam. Deux 348 Philosophy of Religion and Kalam * Daniel De Smet Al-Kirmn considre le ta’wl comme une dmarche exige par la raison, vu que de nombreux versets coraniques, pris la lettre, contredisent les principes les plus lmentaires de la rationalit14. Il en va de mme de certaines prescriptions de la loi, qui sont soit tout fait irrationnelles15, soit en contradiction flagrante avec le Coran16. Dans tous ces cas, une exgse s’impose, afin de dgager la ra tionalit cache sous des apparences difficilement conciliables avec les ex igences de la raison.
Si la raison rend le ta’wl ncessaire, elle forme galement le critre de sa va lidit. En effet, les Ismaliens n’ont jamais dvelopp dans leurs crits une mthodologie de l’exgse, avec des rgles et des normes clairement dfinies.
Au contraire, des exgses divergentes d’un mme verset sont courantes et par faitement acceptes, comme en tmoigne une tradition attribue au sixime Imam, a‘far al-diq: “Nous pouvons donner pour un mme mot sept explica tions diffrentes et mme soixante-dix”17. Mais le critre absolu auquel toute exgse doit rpondre pour tre valable, demeure la raison, comme l’atteste clairement al-Kirmn: “L’exgse se prsente sous des formes multiples, ce qui en soi n’est gure rprhensible, condition qu’elle ne contredise pas les prin cipes et les rgles de la raison (‘aql)”18.
qui revient alors la tche de dvelopper pareille exgse en conformit avec les exigences de la raison? Al-Kirmn trouve la rponse dans le Coran, S. 3:7: “C’est lui qui a fait descendre sur toi le Livre. On y trouve des versets clairs (mukamt) — la Mre du Livre — et d’autres figuratifs (mutabiht).
Ceux dont les curs penchent vers l’erreur s’attachent ce qui est dit en figures car ils recherchent la discorde et ils sont avides d’interprtations. Mais nul autre que Dieu et ceux qui sont enracins dans la science (al-rsin fi l-‘ilm) ne con ime dition. Vol. X. P. 418–420;
idem. Ism‘l ta’wl of the Qur’n // Rippin A. (d.). Ap proaches to the History of the Interpretation of the Qur’n. Oxford: 1988. P. 199, 207.
Il cite en exemple le verset 41: 11. Dieu y est dcrit comme s’adressant au ciel et la terre, deux tres inanims. Or, toute personne intelligente et rationnelle sait qu’il est absurde de parler une chose inanime: seuls les insenss se comportent de la sorte. S’agissant de l’action d’un fou, de deux choses l’une: ou bien Dieu est fou, ou bien la signification relle du verset diffre de son sens obvie. Voir: al-Kirmn. Mab. P. 53–54;
Walker. Master of the Age.
P. 65 (trad.), 30–31 (d.).
Si quelqu’un accomplissait les rituels prescrits pour le plerinage La Mecque dans un contexte diffrent, tout le monde le considrerait comme un fou. Voir: al-Kirmn. Mab.
P. 52;
Walker. Master of the Age. P. 64 (trad.), 29–30 (d.).
Ainsi, la ar‘a stipule que l’oncle est financirement responsable pour son neveu dans le cas o celui-ci commet un homicide involontaire;
cette rgle contredit le verset 6:164: “Nul ne portera le fardeau d’un autre”. Voir: al-Kirmn. Mab. P. 53;
Walker. Master of the Age.
P. 64 (trad.), 30 (d.). Cf.: De Smet D. Loi rationnelle et loi impose: Les deux aspects de la ar‘a dans le chiisme ismalien des Xe et XIe sicles // Mlanges de l’Universit Saint Joseph 61 (2008). P. 532–533.
Q al-Nu‘mn. Ass al-Ta’wl. d. ‘rif Tmir. Beyrouth: 1960. P. 27.
amd al-Dn al-Kirmn. Al-Risla al-wya f l-layl wa l-nahr// Mam‘at Ras’il al- Kirmn. d. Muaf lib. Beyrouth: 1987. P. 109 (cf.: ibid. P. 103, 106).
Philosophie grecque et religion musulmane nat l’interprtation (ta’wl) du Livre. Ils disent: Nous y croyons”19. L’ensemble des shi‘ites, les Ismaliens tout comme les Duodcimains, identifient “ceux qui sont enracins dans la science” avec les Imams, les dpositaires du bin de la Rvlation, auxquels revient le droit de pratiquer et d’enseigner le ta’wl20. Tou tefois, la littrature ismalienne regorge de ta’wls qui n’manent pas directe ment de l’Imam, mais refltent la pense personnelle des grandes autorits de la da‘wa ismalienne (comme al-Siistn et al-Kirmn). Par consquent, si le droit d’interprter rationnellement le Coran et la loi est thoriquement le pri vilge de l’Imam, ce privilge semble dlgu en pratique aux du‘t, les “propa gandistes” du mouvement ismalien. En un sens plus large, l’exgse peut tre pratique par toute personne “soutenue par l’inspiration” (ta’yd) manant de l’Intellect. Le mu’ayyad appartient cette lite d’hommes qui reoivent pleine ment l’influx de l’Intellect cosmique, ce qui leur permet d’actualiser leur propre intellect de faon intgrale et de saisir les “ralits subtiles” caches sous le sens obvie de la Rvlation21.
En un contexte certes diffrent, le philosophe Ibn Rud (Averros, m. en 1198) voque ce mme verset S. 3: 7 pour revendiquer le droit de soumettre les passages quivoques du Livre une exgse afin d’en extraire le sens profond.
Si le Coran comporte un aspect hir et un aspect bin, c’est qu’il s’adresse l’ensemble des hommes, qui n’ont pas tous les mmes dispositions innes (fiar), ni les mmes capacits intellectuelles. Les versets quivoques indiquent aux “personnes enracines dans la science” qu’une interprtation (ta’wl) s’impose22. Mais dans l’optique d’Averros, ces “enracins dans la science” Fidle la tradition shi‘ite, al-Kirmn lit donc: wa m ya‘lamu ta’wlahu ill Allhu wa l-rsina fi l-‘ilmi, yaqulna… alors que la lecture gnralement admise dans le sunnisme place la virgule aprs Allhu (“mais nul autre que Dieu ne connat l’interprtation du Livre.
Ceux qui sont enracins dans la science disent:...”). Al-Kirmn (Mab. P. 54–55;
Walker.
Master of the Age. P. 65–66 (trad.), 31–32 (d.)) rejette explicitement cette dernire ponctua tion, qui limite le ta’wl Dieu.
Q al-Nu‘mn. Da‘’im al-Islm. d. Asaf Fyzee. Le Caire: 1985. Vol. I. P. 22;
cf.: Walker. Early Philosophical Shiism. P. 125–127;
Feki. Ides religieuses. P. 272–273.
Walker P. Abu Ya‘qub al-Sijistani: Intellectual Missionary. Londres: 1996. P. 54;
Poonawala. Ism‘l ta’wl. P. 203;
De Smet D. Miroir, savoir et manation dans l’ismalisme fatimide // De Smet D., M. Sebti et G. de Callata (ds.). Miroir et Savoir. La transmission d’un thme platonicien, ds Alexandrins la philosophie arabo-musulmane. Actes du colloque in ternational tenu Leuven et Louvain-la-Neuve, les 17 et 18 novembre 2005 (Ancient and Me dieval Philosophy. De Wulf-Mansion Centre. Series 1/XXXVIII). Louvain: 2008. P. 173–187.
Sur la notion de ta’yd, voir: De Smet. Quitude. P. 25, 92, 210, 366.
Ibn Rud. Fal al-Maql. — Averros. Discours dcisif (GF 871). d. et trad. Marc Geof froy. Paris: 1996. § 23. P. 120–123;
§ 28. P. 126–129. Dans ce dernier paragraphe, Ibn Rud dfend la mme ponctuation du verset 3:7 qu’al-Kirmn. Voir: Baffioni C. Antecedenti ‘orien tali’ per la legittimazione del ta’wl dei filosofi in Averro? // Di Tolla A.M. (d.). Studi Berberi e Mediterranei: Miscellanea offerta in onore di Luigi Serra (Studi Marebini, N.S. 4). Naples:
2006. P. 131–139.
350 Philosophy of Religion and Kalam * Daniel De Smet sont les philosophes pripatticiens, qui clairent la Rvlation l’aide d’Aristote23.
Historiquement plus proches de nos auteurs ismaliens que le philosophe de Cordoue, les Iwn al-af’ partagent nanmoins une conception tout fait ana logue de la nature du Coran. En tant que texte “cr” par le Prophte24, il com porte un sens obvie et un sens profond, pour autant qu’il s’adresse tous les hommes, dont la majorit ne peuvent saisir que les symboles sensibles, adapts leurs capacits limites de comprhension25. Sur ce point, les Iwn rejoignent al-Siistn en remarquant avec une certaine malice que le Coran a t envoy des bdouins illettrs, contrairement l’vangile, destin des peuples cultivs ayant lu les rvlations antrieures et les livres des philosophes26. Ds lors, les nombreux passages obscurs du Coran ncessitent une exgse, qui s’effectue par l’lite des sages, les gens “profondment enracins dans la science” (encore le verset S. 3: 7!), les seuls qui sont en mesure de comprendre philosophiquement le sens rel de la Rvlation27. En effet, le sage (akm) qui claire le sens profond du Coran grce une inspiration divine (wa) transmise par les anges — il s’agit d’une inspiration analogue au ta’yd ismalien — accomplit le “culte phi losophique et mtaphysique”28. Ds lors, “les enracins dans la science”, qui “connaissent l’interprtation” (ta’wl) des versets et des mystres (...) sont les sages divins et les savants qui s’adonnent la philosophie (al-ukam’ al-rabb nyn wa l-‘ulam’ al-mutafalsifn)”29. Aux yeux des Iwn, prophtes, imams et philosophes — du moins les meilleurs d’entre eux — ont accs aux mmes vrits, qu’ils expriment toutefois sous des formes diffrentes. Ainsi Muammad, tout en tant prophte et imam, tait galement “philosophe”: il matrisait “la philosophie divine” (al-falsafa al-ilhya)30, dont les reprsentants antiques furent Pythagore, Socrate, Platon et Aristote31. Les savants “enracins dans la Bello I. The Medieval Islamic Controversy between Philosophy and Orthodoxy. Ijm’ and Ta’wl in the Conflict between al-Ghazl and Ibn Rushd (Islamic Philosophy and Theolo gy. Texts and Studies 3). Leiden: 1989. P. 66–82;
Fakhry M. Philosophy and Scripture in the Theology of Averroes // Mediaeval Studies 30 (1968). P. 82. Contrairement aux Ismaliens, selon lesquels la totalit des versets coraniques peut tre soumise au ta’wl, Averros limite la lgalit de l’exgse aux seuls versets figuratifs et adopte ainsi la mme position que les shi‘ites duodcimains. Cf.: Peerwani P. Ism‘l Exegesis of the Qur’n in al-Majlis al Mu’ayyadiyya of al-Mu’ayyad f al-Dn al-Shrz // BRISMES: Proceedings of the 1988 Inter national Conference on Middle Eastern Studies. Oxford: 1988. P. 119.
Marquet Y. Coran et cration. Traduction et commentaire de deux extraits des Iwn al-af’ // Arabica 11 (1964). P. 279.
Iwn. Ras’il. Vol. IV. P. 132, 138;
cf.: Marquet. Philosophie. P. 317–320.
Iwn. Ras’il. Vol. III. P. 77–78.
Iwn. Ras’il. Vol. III. P. 511–512;
cf.: ibid. Vol. II. P. 342–343.
Iwn. Ras’il. Vol. III. P. 512.
Iwn. Ras’il. Vol. III. P. 345.
Iwn. Ras’il. Vol. IV. P. 263.
Ces “philosophes monothistes” doivent tre distingus des philosophes mdiocres qui, par manque de force intellectuelle ou aveugls par l’orgueil, n’obtinrent de la divinit et des ralits intelligibles qu’une conception tronque. Cf.: Marquet. Philosophie. P. 461–476.
Philosophie grecque et religion musulmane science” “connaissent les secrets des prophties et sont entrans dans la pratique de la philosophie. De ce fait, ils sont les hritiers des prophtes”32.
Les auteurs ismaliens oprant au sein de la da‘wa se distinguent des Iwn pour autant qu’ils semblent rticents identifier de faon explicite “les enracins dans la science”, qui sont les matres du ta’wl, avec les “philosophes”. L’objet de leur ta’wl serait-il alors d’une nature diffrente, moins “philosophique”?
Nous avons montr que le ta’wl se propose de dgager la signification pro fonde, cache, secrte, sotrique (tous ces adjectifs conviennent pour traduire bin) du sens obvie de la Rvlation et de la loi. Quelle est alors cette “gnose profonde”, que le d‘ ne pouvait communiquer au disciple qu’aprs avoir conclu avec lui un pacte dans lequel il s’engage ne point divulguer aux profanes les arcanes de la religion33? Les musulmans hostiles au mouvement ismalien avaient l-dessus une opinion toute faite: au cours des sept grades que comportait l’initiation, le nophyte tait amen abjurer l’islam et professer la “doctrine des philosophes”, ce qui revient proclamer l’ternit du monde et de la matire, nier la prophtie, la rsurrection, le paradis et l’enfer, pour aboutir en fin de parcours un athisme matrialiste, suppos tre l’ultime secret de la gnose is malienne34.
Aujourd’hui que les livres secrets35 des Ismaliens sont entre nos mains, nous pouvons nous former une ide plus autorise de l’objet du ta’wl, mme si celui ci continue mettre dans l’embarras certains chercheurs modernes36.
en croire al-Kirmn, les symboles sensibles qui figurent dans les Livres rvls contiennent une “science profonde” (ikma blia), dont la matrise est indispensable au salut de l’me. Cette gnose salvatrice concerne l’essence mme des tres, leurs ma‘n. Il ne s’agit en aucun cas d’un savoir irrationnel ou “oc culte” dans le sens moderne du terme. Bien au contraire, la ikma s’inscrit dans les limites de la raison;
elle est rationnelle, mme si les symboles qui l’expriment peuvent contredire les principes de l’intellect37.
Heureusement, al-Siistn est plus explicite sur la nature de ce savoir. Il tablit une distinction bien nette entre la rvlation (risla) et la philosophie Iwn. Ras’il. Vol. I. P. 375.
Halm H. The Isma‘ili oath of allegiance (‘ahd) and the ‘sessions of wisdom’ (majlis al-ikma) in Fatimid times // Daftary F. (d.). Mediaeval Isma‘ili History and Thought. Cam bridge: 1996. P. 91–115.
Stern S.M. The ‘Book of the Highest Initiation’ and Other Anti-Ism‘l Travesties // Stern S.M. Studies in Early Ism‘lism. Jrusalem–Leiden: 1983. P. 56–83.
La plupart des traits ismaliens sotriques insistent dans leur introduction sur le ca ractre secret de l’ouvrage et interdisent au disciple, sous la menace de terribles chtiments en ce monde et dans l’Au-del, d’en communiquer le contenu toute personne non initie. Cf.:
De Smet. Quitude. P. 31–32.
En tmoignent les remarques perplexes d’Anton Heinen dans: Heimen A. The Notion of Ta’wl in Ab Ya‘qb al-Sijistn’s Book of the Sources (Kitb al-Yanb‘) // Hamdard Islami cus 2 (1979). P. 35–36, 39.
Al-Kirmn. Mab. P. 51–54;
Walker. Master of the Age. P. 63–65 (trad.), 28–31 (d.).
352 Philosophy of Religion and Kalam * Daniel De Smet (ikma), la premire tant la manifestation extrieure, apparente et symbolique, de la seconde. Ds lors, il existe un paralllisme parfait entre les deux, jusque dans leur structure mme. Tout comme on distingue au niveau de la rvlation le “culte par la pratique” et le “culte par la connaissance”, la philosophie comporte un aspect pratique et un aspect thortique. Chaque volet se divise en trois dis ciplines: “Les philosophes (ukam’) divisent la science thortique (al-‘ilm) en trois parties: (1) la mtaphysique, qu’ils appellent la science suprieure, car il s’agit de la connaissance de Dieu et des anges;
(2) la science intermdiaire, notamment la connaissance de l’astronomie et des mouvements des corps clestes;
(3) la science infrieure, savoir la mdecine et les arts (in‘t). Ensuite, ils divisent la science pratique (al-‘amal) galement en trois parties: la politique (siysat al ‘mma), l’conomie (siysat al-a) et l’thique (siysat al-qqa)”38.
En fait, al-Siistn reprend une division de la philosophie qui fut labore par les commentateurs alexandrins de la logique d’Aristote (Ammonius, Elias, David), puis adopte par les logiciens syriaques (Paul le Perse, Michael Bq) et les premiers philosophes arabes (Ibn al-Muqaffa‘, Qus b. Lq, al-Kind)39.
Aussi, al-Siistn attribue-t-il explicitement cette division aux ukam’, terme par lequel il dsigne de toute vidence les philosophes40. Il en rsulte que la ikma, objet du ta’wl, n’est autre que la philosophie41. En mme temps, il dfinit al-Siistn. Ibt. P. 119–120. Voir: De Smet D. Une classification ismalienne des sciences: L’apport d’Ab Ya‘qb al-Sijistn la ‘tradition d’al-Kind’ et ses liens avec Ab l-asan al-‘mir // Akasoy A. et W. Raven (ds.). Islamic Thought in the Middle Ages: Studies in Text, Transmission and Translation, in Honour of Hans Daiber (Islamic Philosophy, Theolo gy and Science. Texts and Studies 75). Leiden: Brill 2008. P. 77–90. Une classification analo gue apparat galement dans: Amad b. Ibrhm al-Naysbr. Kitb Ibt al-imma. Lalani A.
(d. et trad.). Degrees of Excellence: A Fatimid Treatise on Leadership in Islam (Ismaili Texts and Translations Series 8). Londres–New York: 2010. P. 52–53 (d.), 60–61 (trad.).
La dsignation des trois disciplines pratiques par le terme unique de “gouvernance” (siysa), spcifie en “gnrale”, “particulire” et “trs particulire”, semble propre la tradi tion syriaque (Paul le Perse, Michael Bq) et aux premiers logiciens arabes qui en dpen dent directement (Ibn al-Muqaffa‘), car elle disparatra par la suite. Cf.: Hein Ch. Definition und Einteilung der Philosophie: Von der sptantiken Einleitungsliteratur zur arabischen Enzyk lopdie. Frankfurt a. M.: 1985. P. 227–228. En revanche, le reste de la division se retrouve chez tous les auteurs mentionns. Cf.: Hein. Definition. P. 26, 147–151, 163–168, 226–227;
Daiber H. Qos Ibn Lq (9. Jh.) ber die Einteilung der Wissenschaften // Zeitschrift fr Geschichte der arabisch-islamischen Wissenschaften 6 (1990). P. 108–111 (texte E), 120, 124;
Biesterfeldt H.-H. Abl-asan al-‘mir und die Wissenschaften // Voigt W. (d.). XIX. Deut scher Orientalistentag (ZDMG. Suppl. III, 1). Wiesbaden: 1977. P. 335;
Cortabarria A. La classification des sciences chez al-Kind // MIDEO 11 (1972). P. 63–64, 70–71.
Notons qu’un philosophe comme Abu l-asan al-‘mir (m. 992) essaie lui aussi de construire des quivalences entre les sciences religieuses (ad, kalm, fiqh) et les sciences philosophiques (physique, mtaphysique et mathmatique). Cf.: Biesterfeldt. Abl-asan al ‘mir. P. 336, comparer avec: al-Siistn. Ibt. P. 122;
De Smet. Classification. P. 87.
D’une manire analogue, mais moins systmatique, al-Kirmn prcise que les “sciences nobles” (al-‘ulm al-arfa) auxquelles mne le ta’wl, concernent l’unicit de Dieu, les Intelli gences spares, la nature et l’me (Rat. P. 383, 462, 470;
cf.: De Smet. Quitude. P. 358).
Philosophie grecque et religion musulmane le akm, dpositaire de la ikma, comme “un homme pur, soutenu par l’inspiration de l’Esprit saint” (al-insn al-f al-mu’ayyad bi-r al-quds)42. Le paralllisme entre la rvlation et la philosophie, qu’al-Siistn dveloppe en dtail43, fait ainsi du philosophe un “sage inspir”, trs proche de l’image qu’en donnent les Iwn. Pour autant qu’il n’existe aucune contradiction ou opposition entre risla et ikma, les prophtes et les “penseurs rationnels” (ahl al-‘aql) proclament la mme vrit, mais en employant des termes diffrents, puisqu’ils ne s’adressent pas au mme public. Alors que les Iwn appellent ces savants des falsifa, pratiquant la falsafa, les auteurs ismaliens semblent viter ces termes.
Si les disciplines philosophiques aident comprendre le sens profond des Li vres rvls, le strict paralllisme entre religion et raison, entre rvlation et phi losophie fait que pour les Ismaliens le ta’wl s’opre galement en un sens in verse. En effet, les textes philosophiques peuvent leur tour tre soumis une exgse afin d’en extraire le bin qui se rapporte au “monde de la religion” (‘lam al-dn). Certes les philosophes, guids par la raison, ont-ils moins recours un langage symbolique que les prophtes, mais les ralits physiques ou psy chiques qu’ils dcrivent dans leurs livres sont elles-mmes des reflets, des “sym boles” se rfrant une ralit divine supra-sensible. Selon a‘far b. Manr al Yaman (m. vers 957), un des premiers du‘t ismaliens dont les crits nous sont parvenus: “Dieu n’a cr aucune chose en ce bas monde, pas de btes sur la terre, pas d’oiseaux volant de leurs ailes (S. 6: 38), ni rien de vert ou de dessch (S. 6: 59), ni les matires inorganiques, comme les montagnes et les pierres, ni les arbres et les minraux, comme l’or, l’argent et le diamant, ni au cune chose, grande ou petite, sans qu’il ne l’ait tablie comme un symbole (maal)”44. D’o le thme de l’exgse parallle des deux Livres, que Corbin dcrit comme suit: “Aussi la Nature est-elle un Liber mundi dont il faut, par le ta’wl, dchiffrer le sens cach, de mme que, par le ta’wl se dvoile le sens spi rituel du Liber revelatus, le sens vrai du Livre ‘descendu du Ciel’ ”45. Les auteurs ismaliens, et en particulier al-Kirmn, donnent cette exgse applicable en deux directions le nom de “balance de la religion” (mzn al-diyna). Elle sup pose une vision du monde entirement marque par la continuit, un symbolisme et une “sympathie” universels, une harmonie totale entre les diffrents niveaux al-Siistn. Ibt. P. 119.
Voir: al-Siistn. Ibt. P. 120–122.
a‘far b. Manr al-Yaman. Kitb al-‘lim wa l-ulm. — Morris J.W. (d. et trans.).
The Master and the Disciple: An Early Islamic Spiritual Dialogue (Ismaili Texts and Transla tions Series 3). Londres–New York: I.B. Tauris 2001. § 107. P. 21 (texte) et P. 88 (traduction).
Corbin H. Hermneutique spirituelle compare // Eranos Jahrbuch 33 (1964). P. 73.
Voir: De Smet D. The Sacredness of Nature in Shi‘i Isma‘ili Islam // Vanderjagt A. et K. van Berkel (ds.). The Book of Nature in Antiquity and Middle Ages (Groningen Studies in Cultur al Change 16). Louvain: Peeters 2005. P. 85–96.
354 Philosophy of Religion and Kalam * Daniel De Smet de la ralit, grce laquelle il est possible de passer d’un niveau l’autre, de la rvlation la philosophie et vice-versa. Ayant analys ailleurs les mcanismes de cette dmarche intellectuelle si caractristique de la pense ismalienne mdivale46, il nous suffira de constater ici que la propagande anti-ismalienne a vu juste en une certaine mesure, lorsqu’elle affirme que l’objet du ta’wl is malien n’est autre que la “doctrine des philosophes”47.
Une telle conclusion s’avre confirme par la manire dont Ab Ya‘qb al Siistn structure sa vision du monde. Celle-ci s’articule autour de quatre termes fondamentaux: ta’yd, tarkb, ta’lf et ta’wl. L’Intellect soutient (=ta’yd) le monde dans l’existence grce l’influx manant de lui;
l’me ordonne (=tarkb) l’univers suivant le modle des archtypes procdant de l’Intellect;
le Prophte rdige (= ta’lf) les livres rvls;
enfin l’exgse opre par l’imam reconduit (= ta’wl) le sens apparent du texte son archtype, l’Intellect.
L’harmonie universelle permet al-Siistn d’tablir des quivalences entre ces quatre termes et les quatre mots qui composent la ahda islamique ou les quatre branches de la croix chrtienne48. En outre, il prcise que le ta’yd se situe au niveau des essences (awt), le tarkb correspond aux concepts (humm)49, le ta’lf quivaut la parole (qawl) et le ta’wl l’criture (kitba)50.
Selon le tmoignage d’al-Kirmn, al-Siistn avait dans son Kitb al-Nura attribu cette division Aristote: “L’auteur du Nura dit: le Philosophe (al akm) mentionne dans la logique que toutes les choses se prsentent selon qua tre modalits: dans les essences-mmes (awt) des tres, dans la pense (fikra), dans la parole (qawl) et dans l’criture (kitba)”51. Il y a l une allusion au prem ier chapitre du De Interpretatione, curieusement transpos sur un plan cosmolo gique: les essences des choses (= les archtypes dans l’Intellect) laissent des em preintes (r) dans l’me (= l’me reoit l’empreinte des archtypes) qui sont exprimes par la parole (= la Parole prophtique exprime les ralits “subtiles” l’aide de symboles), la parole tant fixe par l’criture (= la Parole devient un texte, dont le sens est reconduit son origine par l’exgse des symboles qu’il Voir: De Smet. Quitude. P. 27–31, ainsi que: idem. Mzn ad-diyna ou l’quilibre entre science et religion dans la pense ismalienne // Acta Orientalia Belgica 8 (1993). P. 247–254.
Par contre, l’accusation de professer un matrialisme athe est une calomnie qui ne trouve aucune confirmation dans les textes ismaliens.
Une grande partie du Kitb al-Yanb‘ est consacre ces quivalences: Ab Ya‘qb al-Siistn. Kitb al-Yanb‘. d. Henry Corbin // Trilogie ismalienne (Bibliothque Ira nienne 9). Thran–Paris: Adrien Maisonneuve 1961. § 10. P. 9. § 138–148. P. 70–76 (de la partie arabe). Trad. franaise reprise dans: Corbin H. Trilogie ismalienne. Lagrasse: 1994.
P. 29–30, 119–131. Trad. anglaise: Walker P. The Wellsprings of Wisdom. Salt Lake City:
1994. P. 45, 91–95. Voir en outre: Corbin H. L’Ismalisme et le symbole de la Croix // La Table Ronde 120 (1957). P. 122–134.
Sur le sens de ce terme peu courant, voir: Walker. Wellsprings. P. 188–189.
al-Siistn. Yanb‘. § 183–184. P. 92–93;
trad. Corbin, P. 155–156;
trad. Walker.
P. 108–109.
amd al-Dn al-Kirmn. Kitb al-Riy. d. ‘rif Tmir. Beyrouth: 1960. P. 94.
Philosophie grecque et religion musulmane contient)52. En d’autres termes, selon le schma aristotlicien, les essences des choses sont reprsentes dans l’me par la pense, la pense est reprsente par la parole et la parole est reprsente par l’criture. Inversement, l’criture se rfre la parole, et ainsi de suite. De mme, le ta’wl opre le retour du signi fiant (le hir) au signifi (le bin) et ramne finalement au point de dpart:
l’Intellect. Mme si cette construction s’avre quelque peu trange, elle montre comment un auteur ismalien comme al-Siistn a consciemment voulu tablir son systme sur des bases aristotliciennes, et ce malgr l’inspiration noplatoni cienne qui domine sa pense.
Aristote comme exgte du Coran premire vue, le ta’wl apparat comme un moyen d’introduire dans l’islam un mode de pense et des doctrines qui lui sont trangers. Pour l’ismalisme de tradition fatimide, il s’agit d’harmoniser le contenu du Coran avec une certaine philosophie d’origine grecque53. La recherche moderne identifie cette philoso phie un peu trop exclusivement au noplatonisme, tel point que l’on parle au jourd’hui de “noplatonisme ismalien”54. Certes, l’omniprsence de concepts et de termes noplatoniciens dans la vision ismalienne de Dieu et du monde est indniable55, mais cela ne signifie pas pour autant que l’apport aristotlicien soit ngligeable56. Nous avons vu que mme al-Siistn, considr pourtant comme Aristote. De Interpretatione. 16a 1–18. La traduction arabe, attribue Isq b. unayn, est dj plus explicite. Voir: Arisls. Kitb al-‘ibra // ‘Abd al-Ramn Badaw (d.).
Maniq Aris. Vol. 1. Koweit–Beyrouth: 1980. P. 99–100. Cf.: Walker. Wellsprings. P. 187–189.
Plus tard aux Indes, l’ismalisme nizarite aura recours au ta’wl pour harmoniser son in terprtation de l’islam avec des notions empruntes l’hindouisme, quitte y introduire des divinits hindoues. Il en rsulte la vaste littrature des ginns, o le ta’wl menant d’un hir coranique un bin hindouiste constitue le satpanth, “la voie droite”. Voir: Nanji A. Towards a Hermeneutic of Qur’nic and Other Narratives in Isma‘ili Thought // Martin R.C. (d.). Ap proaches to Islam in Religious Studies. Tucson: 1985. P. 169–172;
cf.: Esmail A. A Scent of San dalwood. Indo-Ismaili Religious Lyrics (Ginans). Richmond: 2002;
Surani I. Explication des vertus de la Connaissance dans le Kalm-i Maul, un texte ismalien fondamental. Paris: 2003.
Selon Poonawala, les auteurs fatimides, et en particulier al-Siistn, “use ta’wl on which to hang the Neoplatonic cosmology and eschatology” (Poonawala. Ism‘l ta’wl.
P. 218);
“Ta‘wl plays an important role in the Ism‘l formulation of a new synthesis of rea son and revelation based on Neoplatonism and Sh‘ doctrine” (ibid. P. 222). Le terme “Ism‘l Neoplatonism” apparat notamment dans le titre de l’ouvrage de Walker, cit supra, n. 13.
Voir, e.a.: De Smet. Quitude. P. 94–100, 379–383.
Sans doute faut-il dceler dans cet oubli d’Aristote, si frquent dans les tudes is maliennes, l’influence d’Henry Corbin, qui considrait l’ismalisme comme la rsurgence d’une gnose teinte de noplatonisme, quitte en occulter presque totalement les lments aristotliciens. Voir: De Smet D. Henry Corbin et les tudes ismaliennes // Amir-Moezzi M.A., Ch. Jambet et P. Lory (ds.). Henry Corbin: Philosophies et Sagesses des Religions du Livre (Bibliothque de l’cole Pratique des Hautes tudes. Sciences Religieuses 126 / Histoire et prosopographie de la section des sciences religieuses 1). Turnhout: Brepols 2005. P. 105–118.
356 Philosophy of Religion and Kalam * Daniel De Smet un noplatonicien “pur-sang”, tablit son systme sur des prceptes pripatti ciens57. En cela, les auteurs ismaliens ne se distinguent d’ailleurs pas des falsifa musulmans antrieurs Averros, qui ont tous essay d’une manire ou d’une autre de mettre en harmonie Platon et Aristote. Tout comme les falsifa, les Ismaliens ont t encourags sur cette voie par les apocryphes noplatoni ciens — les Plotiniana Arabica (en particulier la “longue recension” de la Theo logia Aristotelis) et le Proclus Arabus (notamment le Liber de Causis) — dont la plupart circulaient sous le nom d’Aristote58.
Ds lors, si un auteur comme al-Kirmn donne de certains versets coraniques des exgses purement noplatoniciennes59, la science qui constitue selon lui le bin du Coran reflte galement une bonne part d’aristotlisme. Quelques ex emples suffiront pour illustrer ce “pripattisme noplatonisant” dont les philo sophes musulmans et les du‘t ismaliens taient particulirement friands.
plusieurs reprises, le Coran dsigne Allh comme “le Vivant, celui qui subsiste par lui-mme” (al-ayy al-qayym) (S. 2: 255;
3: 1-2, et autres). Con forme la tendance ismalienne qui voit en Allh non le Principe Ultime, mais plutt l’Intellect Universel, sa premire crature, al-Kirmn invoque ces deux versets pour prouver que l’attribut principal de l’Intellect est la vie. Il dfinit l’Intellect comme une substance en acte, un acte pur dont l’essence n’est autre que l’auto-intellection. Or l’acte pur, c’est la vie60. l’instar des falsifa et en particulier d’al-Frb, al-Kirmn assimile l’Intellect — le Nos, la deuxime hypostase de Plotin — l’Intellect divin du Livre Lambda de la Mtaphysique d’Aristote, qui lui aussi est “un vivant ternel parfait”, “une vie parfaite et ter nelle”, en sa qualit d’acte pur et de pense de la pense61. En effet l’Intellect, Par consquent, la stricte opposition que Paul Walker croit devoir tablir entre un Siistn platonicien et un Kirmn aristotlicien me parat quelque peu force. Cf.: Walker P.
amd al-Dn al-Kirmn: Ismaili Thought in the Age of al-kim. Londres: 1999. P. 27, 90– 91;
idem. Early Philosophical Shiism. P. 174, n. 2;
idem. Abu Ya‘qub al-Sijistani. P. 34.
Voir: De Smet D. Les bibliothques ismaliennes et la question du noplatonisme is malien // D’Ancona Cr. (d.). The Libraries of the Neoplatonists. Proceedings of the Meeting of the European Science Foundation Network “Late Antiquity and Arabic Thought. Patterns in the Constitution of European Culture”, held in Strasbourg, March 12–14, 2004 (Philosophia Antiqua 107). Leiden: Brill 2007. P. 481–492;
cf.: D’Ancona Cr. The Topic of the ‘Harmony between Plato and Aristotle’: Some Examples in Early Arabic Philosophy // Speer A. et L. We gener (ds.). Wissen ber Grenzen: Arabisches Wissen und lateinisches Mittelalter. Berlin– New York: 2006. P. 379–405;
Endress G. ‘La Concordance entre Platon et Aristote’, l’Aristote arabe et l’mancipation de la philosophie en Islam mdival // Mojsisch B. et O. Pluta (ds.).
Historia Philosophiae Medii Aevi: Studien zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters.
Band 1. Amsterdam–Philadelphia: 1991. P. 237–257.
J’ai analys (De Smet. Quitude. P. 264-270) la remarquable exgse de S. 59: 24, verset dans lequel al-Kirmn reconnat l’activit de trois dmiurges, suivant une lecture noplatoni cienne d’un passage du Time.
al-Kirmn. Rat al-‘aql. P. 189–190.
Aristote. Mtaphysique. L 7, 1072b 14–30;
De Caelo. II, 3, 286a 9;
cf.: De Smet.
Quitude. P. 165.
Philosophie grecque et religion musulmane qui par essence est “intelligence, intelligeant et intellig” (‘aql, ‘qil, ma‘ql), se situe au sommet de la perfection. Il y est seul et isol, puisque son intellection ne peut avoir pour object que l’tre le plus parfait, c’est--dire soi-mme. Ce n’est qu’en “seconde intention”, comme une sorte de produit secondaire et driv, que cette auto-intellection provoquera l’manation des hypostases infrieures. Cette thorie bien connue62, qui fut reprise la suite de Plotin et de Proclus par les Plotiniana Arabica, le Liber de Causis et certains falsifa comme al-Frb63, constitue pour al-Kirmn le bin de S. 4: 1: “ vous les hommes! Craignez votre Seigneur qui vous a crs d’un seul tre, puis de celui-ci, Il a cr son pouse”64.
Chaque Intelligence spare dont est constitu le monde intelligible, intellige, outre sa propre essence, les essences des Intelligences qui lui sont hirarchique ment suprieures, et ce jusqu’au niveau de l’Intellect Universel. Car aucune In telligence ne tire profit de l’intellection d’une Intelligence infrieure, sa perfec tion rsidant uniquement dans l’intellection d’une entit suprieure. Al-Kirmn expose ce principe en des termes qui suivent de prs un passage de l’Elementatio Theologica de Proclus, attribu dans la version arabe tantt Alexandre d’Aphrodise, tantt Aristote lui-mme65. Cela n’empche al-Kirmn de le prsenter comme une exgse du verset S. 2:285: “Le Prophte a cru ce qui est descendu sur lui de la part de son Seigneur. Lui et les croyants, tous ont cru en Dieu, en ses anges, en ses Livres et en ses prophtes”66.
La hirarchie des Intelligences spares dans le monde intelligible, ainsi que des tres matriels dans l’univers sensible, dpend de la distance qui les spare de l’Intellect, source ultime de l’manation. mesure que l’on s’loigne de cette source, la perfection dcrot, la densit et l’opacit augmentent, notamment cause du nombre grandissant des intermdiaires. Ce principe noplatonicien, cher aux paraphrases arabes de Plotin et de Proclus67, constitue pour al-Kirmn le bin du verset S. 40: 57: “La Cration des cieux et de la terre est quelque chose de plus grand que la cration des hommes: mais la plupart d’entre eux ne savent pas”68.
Aristote. Mtaphysique. L 7, 1072b 18–23;
L 9, 1074b 15–1075a 5.
Voir les rfrences dans: De Smet. Quitude. P. 172–173.
al-Kirmn. Rat al-‘aql. P. 203.
Proclus. Elementatio Theologica. — Dodds E.R. (d. et trad.). The Elements of Theolo gy. 2e d. Oxford: 1963. Prop. 167. P. 144–147;
Endress G. Proclus Arabus: Zwanzig Absch nitte aus der Institutio Theologica in arabische bersetzung (Beiruter Texte und Studien, 10).
Beyrouth: 1973. P. 289–292 et P. 35–38 (partie arabe);
cf.: Endress. Proclus Arabus. P. 33, 40.
al-Kirmn. Rat al-‘aql. P. 262.
Voir, p. ex.: Theologia Aristotelis. — ‘Abd al-Ramn Badaw (d.). Afln ‘inda l-‘Arab. Le Caire: 1955. P. 51;
Liber de Causis. — Bardenhewer O. (d. et trad.). Die pseudo aristotelische Schrift ber das reine Gute bekannt unter dem Namen Liber de Causis. Fribourg:
1882. § 4, P. 66–69, § 8, P. 76–79, et surtout § 9, P. 79–81.
al-Kirmn. Rat al-‘aql. P. 364–365.
358 Philosophy of Religion and Kalam * Daniel De Smet Plus surprenant encore, l’hylmorphisme aristotlicien, selon lequel tous les tres matriels, des corps clestes aux cratures les plus humbles du monde sub lunaire, sont composs de matire (hayl) et de forme (ra), est mis en rapport avec la cration d’ve partir d’une cte d’Adam, un rcit biblique qui toutefois ne figure pas dans le Coran. Aussi, la hayl tient-elle le rle de la femme, qui reoit la forme, c’est--dire les “influences” (r) du monde intelligible, et donne naissance aux diffrents rgnes naturels. Telle serait la signification de S. 49:13: “ vous, les hommes! Nous vous avons crs d’un mle et d’une fe melle”, ainsi que de S. 4:1: “ vous, les hommes! Craignez votre Seigneur qui vous a crs d’un seul tre, puis de celui-ci, il a cr son pouse et il a fait natre de ce couple un grand nombre d’hommes et de femmes”69.
Ainsi, en croire al-Kirmn, les grandes intuitions de la notique aristotli cienne se lisent aisment dans le Coran. Au moment de sa naissance, l’intellect humain est “vide”, comparable une feuille de papier vierge ou une tablette non-crite. En tant qu’intellect en puissance, il est tout entier rceptivit, prt recevoir les formes sensibles et intelligibles. C’est cet “intellect matriel” (nos hylikos - al-‘aql al-hayln)70 que se rfrerait S. 16:78: “Dieu vous a fait sortir du ventre de vos mres. Vous ne saviez rien”71. Al-Kirmn distingue dans l’me humaine un certain nombre de facults, qui sont toutes issues des analyses d’Aristote dans le “Trait de l’me” ou de celles de ses commentateurs antiques:
les facults nutritive, sensitive, reprsentative et rationnelle. Or, le ta’wl permet de faire correspondre ces facults aux diffrentes tapes dans la cration de l’homme, telle qu’elle est dcrite dans les versets S. 23:12–14: “Nous avons cr l’homme d’argile fine, puis nous en avons fait une goutte de sperme contenue dans un rceptacle solide;
puis, de cette goutte, nous avons fait un caillot de sang, puis de cette masse nous avons cr des os;
nous avons revtu les os de chair, produisant ainsi une autre cration. Bni soit Dieu, le meilleur des cra teurs!”. Al-Kirmn nous apprend, en illustrant son propos l’aide d’un schma de forme circulaire, que l’argile fine correspond au mlange (miz) dont l’me tire son existence72;
la goutte de sperme se rfre la facult nutritive, le caillot de sang la facult sensitive, la masse la facult reprsentative, les os la fa cult rationnelle, la chair la facult “intelligeante” (‘qila) et “l’autre cration” la seconde perfection, qui marque l’actualisation complte de l’intellect73. Une al-Kirmn. Rat al-‘aql. P. 328.
Voir notamment: Aristote. De Anima. III, 4, 429a 10–430a 2.
al-Kirmn. Rat al-‘aql. P. 451–452. Al-Kirmn interprte de la mme manire le clbre hadith selon lequel chaque enfant nat avec la disposition inne d’embrasser l’islam, mme si ses parents sont juifs, chrtiens ou zoroastriens.
Il ne m’est pas clair ce qu’il faut entendre par ce “mlange”. Gnralement, al-Kirmn emploie ce terme pour dsigner la matire seconde, forme du mlange des quatre lments.
Toutefois, l’me n’est pas constitue de cette matire seconde. Cf.: De Smet. Quitude. P. 355, n. 211.
al-Kirmn. Rat al-‘aql. P. 481–482;
cf.: De Smet. Quitude. P. 355.
Philosophie grecque et religion musulmane harmonie totale est ainsi tablie entre l’anthropogonie coranique et la notique aristotlicienne.
Pour accder sa seconde perfection — but ultime de l’existence humaine — l’intellect devra pleinement s’actualiser, en s’ouvrant autant que possible l’in fluence de l’intellect agent. Suivant une lecture d’Aristote qui remonte pro bablement Jean Philopon, al-Kirmn identifie cet intellect agent avec “l’instructeur” (al-mu‘allim) qui confre au disciple l’instruction salvatrice (le ta‘lm). Pour l’auteur ismalien, ce mu‘allim n’est autre que l’Imam, source ul time de toute connaissance et principe de l’actualisation des mes74. Al-Kirmn donne cette doctrine ismalienne un fondement philosophique l’aide de la notique aristotlicienne, qu’il prsente comme le bin des versets S. 16:78 (cit ci-dessus) et S. 16:43 (ou 21:7): “Si vous ne le savez pas, interrogez les gens auxquels le Rappel a t adress”75.
Une philosophie rvle Ces quelques exemples emprunts au Rat al-‘aql d’al-Kirmn peuvent tre multiplis sans difficult, non seulement en dpouillant les ouvrages de ses collgues fatimides, mais galement en parcourant l’immense littrature ult rieure, la fois ayyibite et nizarite76. Il en rsulte que les Ismaliens retrouvaient dans le Coran tout un ensemble de doctrines issues d’une synthse originale entre les deux grands courants de la philosophie antique: le platonisme et l’aristotlisme. En cela, ils ne se distinguaient gure des falsifa, qui eux aussi ont eu recours, d’une manire ou d’une autre, au mcanisme du ta’wl, dans le souci d’harmoniser la pense grecque avec la lettre du Coran. L’exemple d’Averros nous a montr que les falsifa invoquent le mme verset S. 3: De Smet. Quitude. P. 359–360. Cf.: Jean Philopon. De Intellectu. — Verbeke G. (d.).
Jean Philopon. Commentaire sur le De Anima d’Aristote. Traduction de Guillaume de Moer beke. Louvain–Paris: 1966. P. 10, 18–19, 48, 51, 56, 58, 91. La mme thorie se retrouve chez un contemporain d’al-Kirmn: al-Naysbr. Kitb Ibt al-imma. P. 55–56 (d.), P. (trad.). Al-Naysbr fait explicitement correspondre l’imam l’Intellect Universel: idem.
Kitb Ibt al-imma. P. 17, 50 (d.), P. 42, 59 (trad.).
al-Kirmn. Rat al-‘aql. P. 288–289, 311.
Pour nous limiter un exemple supplmentaire, tir d’un des rares crits nizarites ayant survcu au dsastre d’Alamt: Nar al-Dn s propose dans le Rawat al-taslm un ta’wl qui reconnat dans S. 35:1 une allusion aux quatre phases dans l’actualisation de l’me humaine selon la notique aristotlicienne. Voir: Jambet Ch. (trad.). Nasiroddin Tusi. La convocation d’Alamut. Lagrasse: Verdier 1996. P. 344–345. On pourrait comparer cette exgse au ta’wl de S. 23:12–14 chez al-Kirmn (voir supra) et l’interprtation du “verset de la lumire” (S. 24:35) par Avicenne. Cf.: Gardet L. La pense religieuse d’Avicenne (tudes de Philoso phie Mdivale 41). Paris: 1951. P. 139–140;
Chaouki Zine M. L’interprtation symbolique du verset de la lumire chez Ibn Sn, azl et Ibn ‘Arab et ses implications doctrinales // Arabi ca 56 (2009). P. 551–559.
360 Philosophy of Religion and Kalam * Daniel De Smet pour lgitimer la pratique du ta’wl77. En outre, falsifa et Ismaliens dpen dent des mmes textes antiques;
les auteurs ismaliens ont lu les falsifa et, notre avis, certains falsifa comme Avicenne ont lu des textes isma liens79.
Il est vrai qu’al-Siistn et al-Kirmn ne se rfrent qu’occasionnellement de faon explicite des auteurs antiques. Malgr l’tendue de leur uvre respec tive, ce n’est qu’en quelques rares endroits et toujours en passant qu’ils mention nent les noms d’Empdocle, d’Aristote et de Galien80. En outre, leur attitude envers la falsafa s’avre trs critique, voire franchement hostile. Al-Kirmn consacre un chapitre entier de son Tanbh al-hd — ouvrage encore indit — la rfutation des philosophes, alors qu’al-Siistn n’hsite pas critiquer svrement le calife abbasside al-Ma’mn pour avoir patronn “la traduction des livres des philosophes grecs matrialistes et athes”81. Nonobstant le dsir vi dent de polmiser contre les Abbasides, de tels propos ne peuvent que surprendre sous la plume d’un auteur dont l’uvre toute entire est imprgne de philoso phie grecque et qui en exalte les doctrines au point d’en faire le sens cach du Coran! Par ailleurs, nous savons par un tmoignage direct, celui d’Ibn al Hayam, que les du‘t ismaliens tudiaient et commentaient les auteurs antiques en version arabe: Hippocrate, Platon, Aristote, Socrate, Empdocle, Galien et En l’absence d’une tude d’ensemble sur les techniques d’exgse coranique dans la fal safa, une comparaison avec le ta’wl ismalien semble prmature. Voir toutefois les remar ques pertinentes de Jean Jolivet dans: Jolivet J. Le dploiement de la pense philosophique dans ses rapports avec l’Islam jusqu’ Avicenne // L’Islam, la philosophie et les sciences. Paris:
1981. P. 35–58, ainsi que: Gardet. La pense religieuse d’Avicenne. P. 139–141;
Janssens J.
Avicenna and the Qur’n: A Survey of the Qur’nic Commentaries // MIDEO 25–26 (2004).
P. 177–192. De Smet D. et M. Sebti. Avicenna’s Philosophical Approach to the Qur’an in the Light of His Tafsr Srat al-Ikhl // Journal of Qur’anic Studies 11 (2009). P. 134–148. Je prpare actuellement avec Meryem Sebti un livre intitul Avicenne et le Coran. Les traits d’exgse philosophique, qui comportera une dition et une traduction annote des traits de tafsr d’Avicenne.
Cela est certain pour l’uvre d’al-Frb. Voir: Walker. Early Philosophical Shiism.
P. 34–35;
idem. amd al-Dn al-Kirmn. P. 119–122;
De Smet. Quitude. P. 282–284, 380;
idem. Al-Frb’s Influence on amd al-Dn al-Kirmn’s Theory of Intellect and Soul // Adamson P. (d.). In the Age of al-Frb: Arabic Philosophy in the Fourth / Tenth Century (Warburg Institute Colloquia 12). Londres–Turin: 2008. P. 131–150. Quant l’influence d’Avicenne, voir: De Smet D. Avicenne et l’ismalisme post-fatimide, selon la Risla al-Muf da f mulaz al-Qada de ‘Al b. Muammad b. al-Wald (ob. 1215) // Janssens J. et D.
De Smet (ds.). Avicenna and his Heritage. Acts of the International Colloquium, Leuven — Louvain-la-Neuve, September 8 — September 11, 1999 (Ancient and Medieval Philosophy. De Wulf-Mansion Centre. Series 1/28). Louvain: 2002. P. 1–20.
De Smet D. La doctrine avicennienne des deux faces de l’me et ses racines ismaliennes // Studia Islamica 93 (2001). P. 77–89.
On trouvera les rfrences pour al-Siistn dans: Walker. Early Philosophical Shiism.
P. 34, et pour al-Kirmn dans: De Smet. Quitude. P. 33.
al-Siistn. Kitb al-Iftir. P. 175.
Philosophie grecque et religion musulmane Dioscoride sont nomms explicitement82. Comment expliquer alors les rserves mises envers la falsafa?
Al-Siistn lui-mme nous en donne la rponse. propos d’une analyse du mouvement, mene en termes aristotliciens, il remarque que les “savants” (‘ulam’) — terme que le contexte nous invite prendre dans le sens de “philo sophes” — ont pu laborer une science valable, pour autant qu’ils sont tributaires de l’enseignement prophtique, le seul qui soit vridique83. D’une faon encore plus explicite, il affirme par ailleurs que “les meilleurs parmi les philosophes grecs”, s’ils ont russi lever leur rflexion jusqu’aux “ralits spirituelles” et acqurir une certaine connaissance de l’me, c’est grce l’enseignement qu’ils ont reu de la bouche des prophtes auxquels ils ont succd. Car, par leurs propres moyens, ils n’auraient jamais pu y parvenir84.
Le d‘ fatimide Nir-e osraw (mort entre 1072 et 1077) qui, contrairement al-Siistn et al-Kirmn, revendique pour lui-mme le titre de faylasf et reconnat avoir tudi les livres des philosophes85, proclame l’identit foncire entre le savoir prophtique et le savoir philosophique86. Hritiers des Prophtes, les meilleurs philosophes grecs, “les philosophes divins” (muta’allihn-e fal sifa), savoir Socrate, Empdocle, Platon et Aristote, ont labor une “sagesse divine”, une “thosophie” qui ne contredit jamais le contenu de la Rvlation. En tmoigne la manire dont “le divin Aristote” conoit — du moins selon Nir-e osraw — l’unit et l’unicit de Dieu (le tawd)87. Ds lors, il n’est gure ton nant qu’Aristote devient l’exgte du Coran et que sa philosophie en reprsente le bin.
Ces rflexions d’al-Siistn et de Nir-e osraw nous ramnent aux Iwn al-af’, dont nous avons montr qu’ils dfendent une conception tout fait ana logue du caractre rvl de la “bonne” philosophie. Eux aussi distinguent clairement les “vrais” philosophes, bnficiaires de l’inspiration divine, des “pseudo-philosophes” infidles, ces orgueilleux qui croient pouvoir s’appuyer Ibn al-Hayam. Kitb al-Munart. — Madelung W. et Paul Walker (d. et trad.). The Advent of the Fatimids. A Contemporary Shi‘i Witness. Londres: 2000 (voir l’index, s.v.).
al-Siistn. Ibt. P. 101.
al-Siistn. Ibt. P. 158–159;
cf.: Walker. Early Philosophical Shiism. P. 32–33. De mme, al-Naysbr (Kitb Ibt al-imma. P. 110 (d.), P. 83 (trad.)) affirme que les philosophes (falsifa) “ont vol (saraqa) ceux qui dtiennent la vrit” (ahl al-aqqa) (c.--d. les imams) la dfinition de la philosophie comme tant “le fait de devenir pareil au Crateur selon la capacit de l’homme” (al-falsafa hiya al-taabbuh bi l-bri’ ‘al asab qat al-baar).
Nir-e osraw. Kitb-e mi‘ al-ikmatayn. d. Henry Corbin et Muammad Mo‘n (Bibliothque Iranienne 3). Thran–Paris: Adrien Maisonneuve 1953. P. 17;
traduction fran aise Isabelle de Gastines: Nsir-e Khosraw. Le Livre runissant les deux sagesses (L’Espace Intrieur 40). Paris: 1990. P. 48.
Nir-e osraw. Kitb-e mi‘. P. 18 (d.), P. 49 (trad.).
Nir-e osraw. Kitb-e mi‘. P. 67, 72 (d.), P. 91, 95 (trad.).
362 Philosophy of Religion and Kalam * Daniel De Smet sur la seule force de leur intellect en se passant de la Rvlation88. Toutefois, cette notion de “philosophie rvle” n’est pas propre aux Ismaliens, puis qu’elle apparat galement chez un philosophe comme Abu l-asan al-‘mir, qui n’tait pas Ismalien. Soucieux de dfendre la lgitimit de la philosophie face la suspicion des thologiens orthodoxes, al-‘mir soutient que les grands sages de la Grce (les Prsocratiques, Socrate, Platon, Aristote) ont puis leur pense “ la niche de la prophtie”89. La dmarche d’al-‘mir a t rendue poss ible par l’existence de doxographies qui attribuent aux philosophes antiques des doctrines remanies selon les exigences des religions monothistes90. Les auteurs ismaliens s’inscrivent ainsi dans une tradition beaucoup plus large, qui va du Pseudo-Ammonius al-ahrastn, en passant par al-‘mir et la plupart des phi losophes arabes, dont Avicenne91. Tous ont adopt des formes de ta’wl, encore imparfaitement tudies, mais dont la comparaison jetterait coup sr une lu mire nouvelle sur les relations entre ces diffrents courants de la pense mu sulmane.
O rside alors la spcificit de l’approche ismalienne? Si on exclut les questions se rapportant directement au “monde de la religion” (l’imamat, la da‘wa et l’eschatologie), le ta’wl ismalien ne se distingue gure de la falsafa par le contenu des doctrines qu’elle dgage du texte de la Rvlation92. En outre, il se veut tout aussi “rationnel” que l’exgse des philosophes: al-Kirmn n’est pas moins intransigeant qu’Averros sur le principe qui rige la raison en critre unique pour l’interprtation des versets ambigus. Certes, al-Kirmn se spare d’Averros ds qu’on aborde la question de savoir qui est apte prsenter une exgse fiable: pour le philosophe andalou, le ta’wl est strictement rserv l’lite des falsifa, les seuls parmi les hommes dont l’intelligence permet de dvelopper un raisonnement dmonstratif;
pour l’Ismalien, par contre, le ta’wl Al-Siistn et al-Kirmn vitent prcisment d’associer leurs doctrines la falsafa, parce que pour eux ce terme a une connotation de “philosophie laque”, une pense situe en dehors de tout contexte religieux. Cf.: Walker. Early Philosophical Shiism. P. 32.
Abu l-asan al-‘mir. Kitb al-Amad ‘ala l-abad. — Rowson E.K. (d.). A Muslim Phi losopher on the Soul and its Fate (American Oriental Series 70). New Haven: 1988. P. 70–75;
cf.: De Smet D. Empedocles Arabus: Une lecture noplatonicienne tardive. Bruxelles: 1998.
P. 38–45.
La plus connue est la “Doxographie de Pseudo-Ammonius”: Rudolph U. (d. et trad.).
Die Doxographie des Pseudo-Ammonius: Ein Beitrag zur neuplatonischen berlieferung im Islam (Abhandlungen fr die Kunde des Morgenlandes 49/1). Stuttgart: 1989. Cf.: Daiber H.
Hellenistisch-kaiserzeitliche Doxographie und philosophischer Synkretismus in islamischer Zeit // Aufstieg und Niedergang der Rmischen Welt. II, 36.7. Berlin: 1994. P. 4974–4992;
De Smet. Empedocles. P. 28–31.
Ibn Sn. Risla f Ibt al-nubwt. d. Michael Marmura. Beyrouth: 1991. § 16. P. 48.
Ainsi, le polmiste zaydite Abu l-Qsim al-Bust a bien vu que les positions dfendues par al- Siistn sont identiques celles des “anciens parmi les philosophes”. Voir l’extrait de son Kaf Asrr al-Binya, cit par: Walker. Early Philosophical Shiism. P. 167, n. 23.
Philosophie grecque et religion musulmane est le privilge des Imams et des mu’ayyadn, les initis qui au sein de la da‘wa sont soutenus par l’inspiration divine. Mais dans la pratique ces “inspirs” con stituent une lite de “philosophes” qui travaillent indpendamment de l’Imam et dans une grande libert, ce dont tmoignent les divergences doctrinales con sidrables d’un auteur l’autre. Les thologiens sunnites, comme Ibn Taymya et Ibn al-awz, n’ont-ils pas mis les Ismaliens, les philosophes, les Mu‘tazilites et les mystiques dans le mme sac, en leur reprochant d’interprter le Coran se lon leur opinion personnelle93? Enfin, les du‘t ismaliens pratiquent une philo sophie qui se veut rvle, inspire et sacre, tel point qu’ils en interdisent la diffusion auprs du public profane. De mme, Averros a tax d’infidle le phi losophe qui livre le rsultat de ses spculations en pture la foule, inapte en comprendre le sens94.
Peerwani. Ism‘l Exegesis of the Qur’n. P. 126.
Ibn Rud. Fal. § 45–46. P. 146–149, § 56–58. P. 156–159. Mme attitude chez Avi cenne: il est interdit de rvler la foule le contenu du tafsr philosophique du Coran. Cf.: Ibn Sn. al-Risla al-Aawiyya f amr al-ma‘d. — Avicenna. Epistola sulla vita futura. d. et trad. Francesca Lucchetta. Padoue: 1969. P. 42–45.
«Первоосновность света» Сухраварди Тауфик Ибрагим (Институт востоковедения РАН, Москва) КАЛАМСКОЕ ОПРОВЕРЖЕНИЕ АНТРОПОМОРФИЗМА Рациональное понимание Бога мутакаллимы разрабатывали в противо вес буквализму богословов-традиционалистов, которые в прямом смысле слова трактовали встречающиеся в Коране и особенно в Сунне антропомор фные описания Всевышнего и которых впоследствии охарактеризовали как хашавитов/хашвитов, «вульгаризаторов», мушаббихитов, «уподобителей, [антропо]морфистов» и муджассимитов, «отелеснителей, корпоралистов»2.
В суннитском исламе антропоморфизм нашел сторонников преимуще ственно среди хадиситов (ахль аль-хадис, «приверженцы хадисов»), а поз же главным образом среди ханбалитов. Хадиситы VIII в., такие как Му дар, Кахмас и аль-Худжайми, допускали взаимные посещения людей и Бо га, объятия и рукопожатие с Ним. Современником их был видный толкова тель Корана Мукатиль ибн Суляйман (ум. 767), который представлял себе Господа с человекоподобным телом, имеющим плоть, кровь и волосы;
с подобающими частями тела — головой, глазами, руками и ногами;
рост Его, как и рост человека, равен семи собственным пядям. В следующем столетии антропоморфистских воззрений придерживался Мухаммад ибн Продолжение начатой в первом выпуске альманаха серии очерков по теологии ка лама. В настоящей статье не обсуждается относящаяся преимущественно к эсхатологии проблема лицезримости Бога, а также не затрагиваются антропопатические описания Бога (любовь, печаль, честность и т.п.).
Фрагменты из Корана приводятся в нашем переводе и в соответствии с интерпрета цией цитируемого автора. Ссылки на комментарии-тафсиры к Писанию ограничивают ся названием тафсира, при этом подразумеваются толкование к обсуждаемому айату.
Шесть канонических сводов хадисов цитируются по номеру хадиса, предваряемому бук вой, обозначающей составителя: Б (аль-Бухари), М (Муслим), Д (Абу Дауд), Ж (Ибн Маджа), Н (ан-Насаи), Т (ат-Тирмизи). Буква «Х» указывает на свод Ибн Ханбаля. Если нет ссылки на эти своды, то в них данный хадис отсутствует. Поскольку самыми аутен тичными/надежными считаются хадисы, передаваемые и в первом, и во втором из озна ченных сводов, то в таких случаях при ссылке на каноническую сунну мы ограничива емся этими двумя источниками.
Каламское опровержение антропоморфизма Каррам (ум. 869), основатель-эпоним каррамизма3. Антропоморфизм ха рактерен и для некоторых «крайних» среди шиитов сект, наделявших своих имамов божественными качествами и порой видевших в них прямое во площение Бога.
Развенчивая антропоморфические представления4, мутакаллимы прежде всего занимались рациональным обоснованием невозможности как наличия у Бога каких-либо телесных черт, так и Его местопребывания/сторонности (над, наверху, на небе) или перемещения в пространстве. Одновременно они показывали несостоятельность выдвигаемых муджассимитами рацио нальных и традиционных (наклиййа, сам‘иййа)5 доводов, предлагая аллего рическую интерпретацию айатов и хадисов, содержащих человекоподоб ные описания Бога6.
1. Бестелесность Бога 1.1. Исходные посылки В методологическом отношении каламская критика хашавитского ан тропоморфизма базируется на общей для всех трех ведущих школ (мутази лизма, ашаризма и матуридизма) установке — признании приоритета ра ционального перед традициональным/ревелятивным.
Традициональное не может противоречить рациональному Как считают мутакаллимы, первичность разума по отношению к ве ре/откровению связана с необходимостью преодоления «круга в доказа Аль-Ашари. Макалят аль-исламиййин. Висбаден, 1980 С. 209, 214;
аш-Шахра стани. Книга о религиях и сектах. М., 1984 (далее Религии). С. 100–103. «Избавьте меня от [вопросов о] срамной части и бороде и спрашивайте меня о чем-либо другом, помимо этого», — заявлял мушаббихит Дауд аль-Джавариби (там же, с. 100, 163).
Некоторые муджассимиты, особенно среди каррамитов, говорили о Боге как о теле, подразумевая под «телом» сущее в самом себе (ка’им би-нафсих), а не в субстрате. Раз ногласие с таковыми, считают мутакаллимы, чисто терминологическое.
Т.е. апеллирующих к Корану, сунне, мнению религиозных авторитетов и др.
Каламская критика антропоморфизма наиболее полно изложена в книге ашарита Фахр ад-Дина ар-Рази (ум. 1210) «Асас ат-такдис» (Каир, 1986). Аллегоризации хадисов антропоморфического содержания посвящено сочинение другого ашарита, Ибн Фурака (ум. 1015) — «Китаб мушкиль аль-хадис» (Дамаск, 2003;
далее Мушкиль). Относительно небольшой трактат «Даф‘ шубах/шубхат ат-ташбих» Ибн аль-Джаузи (ум. 1200), ханба лита, восставшего против антропоморфизма братьев по мазхабу и примкнувшего к ка ламскому рационализму/аллегоризму, имеется в русском переводе (Казань, 2006), но название трактата здесь передано не совсем адекватно — «Борьба с сомнениями антро поморфистов» (должно быть: «с сомнительными доводами»);
ниже этот перевод, вместе с арабским оригиналом, изданным в сборнике «аль-‘Акыда ва-‘ильм аль-калам мин а‘маль аль-Каусари» (Бейрут, 2004), цитируется как Даф;
причем сначала дается номер страницы оригинала, а затем, через косую черту, номер страницы перевода.
366 Философия религии и калам * Тауфик Ибрагим тельстве»: принятие Слова Божьего (Священных Писаний) и пророков тре бует предварительного удостоверения, во-первых, в существовании самого Бога и во-вторых, в явлении Им посланников, а это возможно лишь посред ством рационального доказательства, благодаря разуму.
Ревелятивное знание может иметь абсолютное значение лишь в области практического богословия-фикха. При решении же теоретических, теолого философских вопросов ревелятивная аргументация способна играть лишь вспомогательную роль. По убеждению мутакаллимов, ревелятивные (нак лиййа) доказательства не дают достоверного знания (йакын). Эти доказа тельства не могут быть вполне надежными, не поднимаются выше «мне ния» (араб. занн, греч. ), вероятностного знания. Ибо их достоверность зависит от множества условий, соблюдение которых крайне затруднитель но. Ведь ревелятивные источники (прежде всего Коран и сунна) имеют различные аспекты: внешний и внутренний (захир и батын), буквальный и метафорический (хакыка и маджаз) и т.п. Ревелятивные тексты также бывают однозначными и многозначными (мухкам и муташабах), отме няющими и отмененными (насих и мансух), имеют общее или только част ное значение (хасс и ‘амм) и т.д. Поэтому сначала необходимо установить, к какому типу принадлежит данный текст (айат, хадис), как его надлежит истолковывать. Мнения же здесь весьма далеки от единогласия.
Раз ревелятивное таково, то надо отдавать рациональному первенство перед ним (такдим аль-‘акли ‘аля ан-накли). В частности, если выводы ра зума приходят в противоречие с буквальным смыслом священных текстов (в данном случае — айатов и хадисов с антроморфическими описаниями), то последние надо подвергать аллегорическому толкованию (та’виль), чтобы привести в соответствие с рациональными выводами, ибо разум — основа (асл), а ревелятивное — производно (фар‘).
Кроме того, свидетельства сунны должны быть переданы надежным пу тем — мутаватир, т.е. сообщаемы множеством лиц, которые не могли сго вориться между собой, тогда как все «антропоморфные» хадисы относятся к разряду «единичных» (ахад), восходящих к одному-единственному пере датчику, а значит (как о том гласит преобладающее среди богословов и ха дисоведов мнение), они не могут служить основанием для категорических выводов. Поэтому подобные хадисы следует подвергать иносказательному толкованию, а в случае невозможности такового, они должны отвергаться как неаутентичные7! В этом отношении, подчеркивает ар-Рази, вне поля Ар-Рази. Асас, с. 215–221;
аль-Джурджани. Шарх аль-Мавакыф. Каир, 1907. Т. I.
С. 209–211;
Т. III. С. 20–21 (далее текст этого комментария цитируется как Шарх, ком ментируемый здесь текст аль-Иджи — как Мавакыф;
при ссылке на оба текста — как Мавакыф/Шарх);
ат-Тафтазани. Шарх аль-Макасыд. Стамбул, 1305 г.х. (далее Ма касыд). Т. I. С. 53;
Т. II. С. 67;
Абу ’ль-Му‘ин ан-Насафи. Табсырат аль-адилля. Анкара, 1993. Т. I. С. 171–175.
Каламское опровержение антропоморфизма критического рассмотрения не могут оставаться даже своды аль-Бухари и Муслима, ибо и эти авторы, из-за добродушия своего, не разглядели свя тотатства некоторых хадисов, которые враги религии (маляхида) подсовы вали мухаддисам8.
Об иносказательном толковании учит сам Коран В обоснование аллегорического подхода мутакаллимы ссылаются на айат 3:7, в котором говорится о наличии в Коране двух разрядов открове ний — мухкамат, «с четким/открытым смыслом» и муташабихат, «много значных, с иным/скрытым смыслом». Правда, в арабском языке того време ни отсутствовала пунктуация, и текст этого айата формально допускает двоякое прочтение — как в пользу иносказательного толкования, так и про тив него. Соответственно первой редакции он звучит следующим образом:
Это [Бог] ниспослал тебе Писание;
В нем есть айаты мухкамат, В коих суть Писания, А другие айаты — муташабихат.
Те [люди], чьи сердца уклонились [от истины], Обращаются к муташабихат ради путаницы, Толкуя их [по своему произволу].
[Истинное] же толкование его Ведает лишь Бог И люди глубоких знаний [, кои] говорят:
«Мы верим [этому], Все — от Господа нашего».
Традиционалисты же отредактировали последние три строки так:
[Истинное] же толкование его Ведает лишь Бог, И люди глубоких знаний говорят:
«Мы верим [этому], Все — от Господа нашего».
Согласно мутакаллимам, вытекающий из последнего прочтения агно стицизм (полагание наличия в Коране недоступных для разума откровений) противоречит многочисленным айатам, в которых Писание охарактеризо вано как «свет ясный» (4:174), «на ясном арабском языке» (26:195), «разъ яснение всего» (16:89), «для людей разумеющих» (14:52), «дабы размыш ляли над ним» (4:82;
47:24;
38:29) и т.п. Следовательно, адекватна лишь первая редакция9.
Ар-Рази. Асас, с. 217–218.
Ар-Рази. Асас, с. 224–227 (с дополнительными аргументами от сунны и от разума).
368 Философия религии и калам * Тауфик Ибрагим Аллегорический/иносказательный подход, призванный преодолеть ха шавитский антропоморфизм, развивали мутазилиты и мутакаллимы-шииты, а впоследствии10 — «поздние» суннитские мутакаллимы, притом как среди ханафитов-матуридитов, так и среди ашаритов. Ранние же ашариты и мату ридиты еще придерживались нон-квалификационизма, характерного для многих богословов первых веков ислама11. Таковые не признавали аллего рического истолкования антропоморфных выражений Корана и сунны, но вместе с тем отказывались от уточнения смысла соответствующих этим вы ражениям реальностей, подчеркивая их принципиальную несхожесть с од ноименными человеческими чертами12.
Ряд мутакаллимов, среди которых были аль-Газали (в трактате Иль джам аль-‘авамм ‘ан ‘ильм аль-калам) и Фахр ад-Дин ар-Рази (в трактатах Аксам аль-ляззат и Васыййа), порой совмещают рационализм аллегористов и фидеизм хашавитов/балякифитов. По их мнению, подлинное, абстрактное понимание божества под силу одним лишь ученым мужам, интеллектуаль ной элите (хасса), но отнюдь не простолюдинам, не широкой публике (‘ам ма). Последние восприимчивы только к материальному/телесному, а посе му для них отрицание, например, телесности Бога или занятия Им опреде ленного места в пространстве равносильно лишению Его бытия. Перед та ковыми айат 3:7 следует разглашать лишь во второй его редакции, объяв ляя антропоморфные айаты принадлежащими к разряду «многозначных»
(муташабихат), истинное толкование которых знает один Бог.
Саляф также прибегали к аллегорическому толкованию Помимо антиаллегорической интерпретации айата 3:7, хашавиты-антро поморфисты утверждают об отрицательном отношении саляф («праведных предшественников») к иносказательному толкованию и посему считают таковое порицаемым/еретическим новшеством (бид‘а). Парируя такой до вод, мутакаллимы замечают, во-первых, что самим оппонентам порой при ходится отказаться от буквального понимания некоторых айатов и хадисов;
во-вторых, среди саляф были такие, кто прибегал к аллегорическому тол кованию.
Со времен ашарита аль-Джувайни (ум. 1085).
Аш-Шахрастани. Религии, с. 55;
ан-Насафи. Табсырат, т. I, с. 171;
ат-Тафтазани.
Макасыд, т. II, с. 67. Правда, к аль-Ашари возводят и мнение о допущении аллегориче ского толкования антропоморфных текстов (аш-Шахрастани. Религии, с. 101).
Относительно слов Корана о «восшествии» (истива’) Бога на Престол после со творения мира (напр. 7:54) имам Малик ибн Анас, основатель носящего его имя толка мазхаба сказал: «[Факт] восшествия известен, каково (кайф) оно — неизвестно, верить в это — обязанность, спрашивать об этом — ересь». Таково мнение и родоначальника ханбализма — Ахмада ибн Ханбаля (аш-Шахрастани. Религии, с. 89). С позиции би-ля кяйф, «без как», рассматривались все относимые к Богу человекоподобные образы — лик, око, длань и др. Впоследствии такая точка зрения получила наименование балька фа, а ее сторонники — балякифа, «нон-квалификационисты».
Каламское опровержение антропоморфизма В частности, всякому здравомыслящему ясно, что в словах Писания — «и ниспослали Мы железо» (57:25) или — «и ниспослал вам восемь живот ных парами» (39:6) нельзя понимать «ниспослание» в прямом смысле.
Также очевидно иносказание в айатах: «Не бывает тайной беседы троих, / Чтобы не был Он четвертым …» (58:7);
«Кто предоставит Богу заем достойный, / Чтобы вернул Он ему, увеличив многократно?» (2:245). Или взять хадисы: «Кто направится ко мне шагом, Я брошусь к нему бегом»;
«Я болел, а ты Меня не навещал…»13.
Что касается саляф, то Ибн Ханбаль, например, коранические слова «и придет (джа’а) Господь…» (89:22) истолковал в смысле прихода Его веления (амр) и власти (кудра). Передают и о признании им иносказатель ного толкования трех хадисов — «Черный камень есть десница (йамин) Божья на земле»;
«я (пророк Мухаммад) ощущаю вздох (нафас) Всемило стивого со стороны Йемена»;
«Я (Бог) — собеседник (джалис) того, кто поминает меня»14. А имам Малик, комментируя хадис о предрассветном нисхождении Бога ближе к земле для внемления просьбам15, заметил, что здесь речь не может идти о каком-либо перемещении Всевышнего, но только о сошествии Его веления (амр)16.
Ревелятивные свидетельства Божьей трансцендентности Наряду с обоснованием аллегоризма аргументацией «от традиции» му такаллимы обращаются к священным текстам — к Корану и Сунне, черпая из них доводы в пользу Божьей трансцендентности (танзих). Прежде всего такие доводы они находят в айате 42:11 — «Нет ничего, подобного (мисль) Ему» и в суре 112:
Исповедуй Его, Бога всеединого (ахад), Бога превзываемого (самад), Не рождавшего и не рожденного, Коему нет равного (куфу).
Согласно мутакаллимам, против антропоморфизма свидетельствует не только отсутствие у Бога «подобного» или «равного», но также эпитеты Первый хадис передают Б 7405, 7536 и М 2675;
второй — М 2569 и Х 8989 (в ха дисе говорится об упреках Божьих тем, кто не навещает недомогающих, не кормит го лодных и т.п.).
Все три хадиса — внеканонические. С точки зрения аллегористов, в первом хадисе говорится о благословенности Черного камня, во втором — о Божьем развеянии печали, в третьем — о Его блговолении.
Б 1145, 6321;
М 758.
Ар-Рази. Асас, с. 105–109 (с множеством других примеров);
Ибн аль-Джаузи.
Даф‘, с. 240/25 (об интерпретации Ибн Ханбалом айата 89:22);
Ибн Фурак. Мушкиль, с. 97 (о Малике).
370 Философия религии и калам * Тауфик Ибрагим «всеединый» и «превзываемый». Ибо телесность предполагает составлен ность, а сия противоречит строгому единству. Эпитет же «превзываемое»
означает «то, к чему взывают нуждающиеся», т.е. самодовлеющее, а тако вое не может быть телесным/составленным, так как последнее нуждается в своих частях. С этим эпитетом несовместимо и нахождение в определен ном месте (макан, хайиз, джиха), поскольку местозанимающее нуждается в соответствующем месте.
Аналогичным образом с представлением о телесности и/или локализо ванности Бога несовместимы такие Его коранические характеристики, как гани/«самодовлеющий» (47:38) и каййум/«самодостаточный» (2:255). А ко ли Он есть «и внешний/явный, и внутренний/скрытый» (57:3), то Бог не является телом, ибо у тела внешнее не совпадает с внутренним. Слова же айата 2:186 о «близости» Господа к взывающему не согласуются с Его ло кализацией на небе17.
1.2. Аллегоризация традициональных описаний В самом Коране нет параллели библейской формуле о сотворении чело века/Адама «по образу» Божьему, но схожее высказывание встречается в сунне. Священное Писание мусульман нигде не говорит о наличии у Бога фигуры или тела. Там также нет упоминаний о каком-либо Божьем ухе, рте или языке, хотя Бог и описывается «всеслышащим» и «изрекающим». Рав ным образом Коран не упоминает о каком-либо носе/обонянии, бороде или сердце, не называет род/пол Бога (хотя к Нему обычно прилагается место имение мужского рода). Вместе с тем в нем Бог описывается, при буквали стском прочтении, как обладающий «ликом», «глазами» и «руками»/«при горшнью», а также — хотя и менее явно, — «боком» и «ногой». К этим ан тропоморфическим описаниям сунна добавляет «уста», «уши», «пальцы», «стопу» и др.
«Образ»
Наделяя Бога человеческим обликом, антропоморфисты ссылаются прежде всего на слова Пророка о Божьем сотворении Адама «по образу Его/его (‘аля суратих)». Правда, эти слова передаются в разных контек стах. Так, версия, переданная и аль-Бухари и Муслимом, сообщает об исто рии создания первочеловека: «Бог сотворил Адама по Его/его образу, рос том в шестьдесят локтей…»18. Согласно другой версии, от Муслима, Про рок так заповедал, предостерегая от битья других по лицу и/или от оскор Ар-Рази. Асас, с. 30–47. В этом духе здесь выделено 17 коранических доводов.
Приводятся также два довода из сунны — о них см. в примеч. 141.
Б 6227;
М 2841.
Каламское опровержение антропоморфизма бительных высказываний о лице19. В таком контексте еще одна версия гла сит: «Бог сотворил Адама по образу Всемилостивого (‘аля сурат ар-Рах ман)»20.
Последнюю версию мутакаллимы-аллегористы отвергают как малодос товерную21. А при ее признании она толкуется наподобие первой версии, если местоимение «его» прилагается к Богу, но такое соотнесение высту пает лишь одной из трех возможных идентификаций.
Согласно первой из них, это местоимение относится ко [всем] Адамо вым потомкам, о чем более явно свидетельствует вторая версия хадиса:
Пророк хотел напомнить, что лицо битого — такое же, какое было у Адама, праотца всех пророков и благоверных, а значит, оскорбление данного чело века задевает и всех таковых22.
Второй вариант идентификации относит местоимение «его» к Адаму:
Бог сотворил Адама в его образе, т.е. после грехопадения и изгнания из Рая/неба Он, пощадив того, сохранил за ним первозданный образ, а не ви доизменил его, как сие случилось со змием и павлином23.
В третьем варианте означенное местоимение указывает на Бога. Образ Адама охарактеризован как Божий, дабы подчеркнуть его возвышенность.
Или: Адам/человек наделен такими Божьими атрибутами, как жизнь, зна ние, могущество, слух и зрение24.
М 2612 — «Если кто-нибудь из вас дерется с другим, пусть не бьет по лицу, ибо Бог сотворил Адама…». Более пространно такую версию приводит хадис Х 7372:
«…и пусть не говорит: „Да изуродует (каббаха) Бог твое лицо и лицо того, на кого ты похож!“, ибо…»
Внеканонический хадис. «Всемилостивый (ар-Рахман)» — второе (наряду с на именованием Аллах) имя Бога или же Его эпитет.
Ар-Рази. Асас, с. 116;
Ибн Фурак. Мушкиль, с. 21. Ибн аль-Джаузи вовсе игнори рует такую версию.
Ар-Рази. Асас, с. 111;
Ибн Фурак. Мушкиль, с. 22. По Ибн аль-Джаузи (Даф‘.
С. 242/27, хадис № 1) и ан-Насафи (Табсырат, т. I, с. 175), местоимение «его» относится к некоторым потомкам Адама, к тому битому. В первых двух источниках дается и такая интерпретация: замечанием, что в плане образа данный человек схож с Адамом, Пророк опровергает утверждение о другом облике Адама, в частности — якобы о его огромном росте (Ар-Рази. Асас, с. 112–113;
Ибн Фурак. Мушкиль, с. 24). Примечательно, что такое толкование ставит под сомнение аутентичность приведенного у аль-Бухари и Муслима хадиса об Адамовом росте в шестьдесят локтей.
Ар-Рази. Асас, с. 113;
Ибн Фурак. Мушкиль, с. 23;
ан-Насафи. Табсырат, т. I, с. 175.
Другие толкования: Бог создал Адама сразу в завершенном облике, а не поэтапно, через стадии, которые проходят его потомки [Коран 23:5] — капли семени (нутфа), сгустка крови (‘аляка) и т.д.;
в завершенном виде, а не в продолжение определенного времени и под влиянием природных сил или небесных сфер, как сие утверждают натуралисты таба’и‘иййун, материалисты-дахриййа или иные философы;
в завершенном виде, а не постепенно в отношении знания и могущества (Ибн аль-Джаузи. Даф‘, с. 242–243/28;
Ибн Фурак. Мушкиль, с. 23;
ар-Рази. Асас, с. 114 — в последних двух источниках име ются дополнительные варианты).
ар-Рази. Асас, с. 115;
Ибн Фурак. Мушкиль, с. 25–26;
Ибн аль-Джаузи. Даф‘, с. 243/28. Со ссылкой на аль-Газали в первом источнике (с. 116) приводится и такое тол 372 Философия религии и калам * Тауфик Ибрагим Еще в одном хадисе рассказывается, как в Судный день Бог явится в об разе (сура), незнакомом для почитавших Его, и те откажутся признать Его и последовать за Ним, потом Он явится в знакомом образе25. Мутакаллимы толкуют первый и второй «образы» в смысле суровости и милости соответ ственно. Кроме того, выражение фи сурат можно понять не как «в образе», а «с (би) образом», т.е. в испытание Господь приводит людям какой-то об раз — например, ангела, который заявит о себе как о Боге: здесь «знакомый образ» подразумевает отсутствие у Господа какого-либо чувственного/твар ного образа26.
В смысле милости/благосклонности или возвышенности/величия подо бает интерпретировать «образ» в словах Пророка: «Господь явился мне (ва риант: Господа видел я) в прекраснейшем образе (фи ахсан сура)»27. К тому же в некоторых версиях уточняется, что это имело место во сне, а при таком видении возможно только образное представление. «Прекраснейший об раз» может относиться и к Пророку, притом как физически — Бог приукра сил его, так и духовно — в значении состояния предельного довольства28.
Антропоморфисты приводят также предания о том, как Пророк (версия:
во время Небошествия) лицезрел Бога в образе кудрявого (джа‘д), безбо родого (амрад) юноши (шабб);
словно жениха (‘арус), сидящим на троне, в жемчужной короне;
в зеленых/красных одеяниях;
лицо покрыто золотой накидкой, а на ногах надеты золотые туфли;
и т. п. Такие хадисы, замечают мутакаллимы, не встречаются ни в одном из надежных сводов, а если и признать что-либо из них, то лишь в качестве сновидений29.
«Лик»
Арабское обозначение ваджх, которое хашавиты толкуют буквально как «лик», применительно к Богу фигурирует в одиннадцати айатах30.
В частности, дважды в Коране подчеркивается:
кование: в строгом смысле слова «человек» не есть данное телосложение, а нечто совсем не телесное, связанное с телом лишь в плане управления;
посему слова о создании Ада ма по образу Бога подразумевают, что сущность (зат) человека, [его душа], соотносится с его телом на манер отношения Бога к миру.
Б 6574;
М 182 (со слов Абу Хурайры). Согласно еще одной версии (со слов аль Худри), Господь явится не в том образе, в котором Его видели впервые;
на вопрос об опознавательной примете люди назовут «голень/бедро» (сак), и Он «обнажит голень» (или:
и «голень обнажится») (Б 7440;